Sur un fil, le Team Delko cherche l'équilibre

Crédit photo William CANNARELLA / DirectVelo

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Les courses du Team Delko pour les deux prochains mois peuvent se compter sur les doigts d’une seule main : après les Boucles de la Mayenne, qui débutent ce jeudi, la ProTeam marseillaise sera alignée sur le Mont Ventoux Dénivelé Challenge (8 juin), la Route d’Occitanie (10 au 13 juin) puis Paris-Camembert (15 juin) - tous les coureurs de l'équipe ont reçu par email les compositions d'équipes pour ces épreuves-là -. Avant les Championnats nationaux, puis un mois de juillet qui devrait être extrêmement pauvre en jours de course pour la structure de deuxième division mondiale.

Comme annoncé par le journal
La Marseillaise au début du mois, le Team Delko - en grandes difficultés financières - doit faire de nombreux sacrifices, notamment au niveau de son calendrier, restreint aux épreuves hexagonales et à une poignée d’apparitions dans les pays frontaliers. Le tout en y ajoutant quelques rares compétitions qui ne coûtent pas le moindre centime au collectif, à l’image du Tour de Turquie (2.Pro), mi-avril, où l’équipe était invitée tous frais payés.

Afin de limiter autant que possible les dépenses, de nombreux membres du staff ont dû quitter le navire ces dernières semaines, à commencer par le directeur sportif basque Gorka Gerrikagoitia, invité à partir. Pour sa part, José Azevedo a certainement exercé pour la dernière fois dans la peau d’un directeur sportif de l’équipe lors du Tour d’Algarve, chez lui au Portugal, bien qu’il reste officiellement sous contrat. Le responsable de la performance, Luc Cheilan, est également parti, comme plusieurs assistants, mécanos ou le nutritionniste. Le Pôle performance mis en place et développé depuis l’an passé n’est déjà plus qu’un souvenir. La situation semble chaque jour un peu plus pesante et désespérée. “Nous n’avons même pas assez de tenues pour tout le monde. Il faut s’en faire livrer de nouvelles, nous manquons de certains vêtements. On n’a plus du tout l’impression d’être dans une équipe professionnelle”, lâche un membre de l’écurie auprès de DirectVelo.

ENTRE ESPOIR ET FATALISME

La situation est si critique que certains coureurs - notamment les plus gros salaires de l’équipe, et les garçons jugés indésirables - ont été invités à quitter l’équipe dès cet été, s’ils ont la possibilité de se voir offrir un contrat dans une autre formation. Parmi eux, on retrouverait en tête de liste les noms de Pierre Barbier, Alessandro Fedeli, Biniam Girmay ou encore Eduard Grosu. Des garçons avec une belle valeur marchande, en d'autres termes. Ces coureurs ont été invités à trouver mieux ailleurs par Philippe Lannes, via des visio-conférences individuelles. D'autres garçons, comme Evaldas Siskevicius, l'un des historiques de l'équipe (dixième saison dans l'effectif) ont appris dès le printemps - voire avant - qu'ils ne seraient pas conservés en 2022. Mais tout le monde ou presque est au courant dans l'effectif, "car on communique beaucoup entre nous. Vu la situation, on en a besoin", expliquent conjointement deux membres du groupe.

Certains coureurs de l’équipe, toujours sous couvert d’anonymat, confient leurs inquiétudes, voire leur lassitude.
“J’attends juste la fin de saison, pour passer à autre chose”, confient certains. D’autres, toujours sous contrat pour 2022, entendent poursuivre l’aventure et continuer de porter la marinière en janvier prochain. “Philippe (Lannes) nous a promis que l’équipe serait toujours là l’an prochain, je veux lui faire confiance”. Le manager général de l’équipe, justement, tente désespérément de sauver ce qui peut encore l’être, en coulisses. Abandonné par les collectivités régionales et par la Métropole - parties du côté d’EF Education-Nippo -, le patron des garages Delko ne parvient pas à trouver de nouveaux sponsors à son équipe. Or, les rentrées financières mensuelles ne sont pas suffisantes pour maintenir le budget à l’équilibre. Alors il faut se serrer la ceinture, encore. Avec une priorité absolue pour le manager : être en mesure de payer les salaires de chacun de ses coureurs.

De jeudi à dimanche, six coureurs de l’équipe sont alignés sur les Boucles de la Mayenne (2.Pro) pendant que les autres, tous les autres, restent à la maison en attendant leur tour. Un tour qui ne viendra parfois que très tard. “Pour moi, je crois que la saison est pratiquement déjà finie. Je risque de ne presque plus courir, vu le nombre de coureurs qu’il y a dans l’équipe, et le nombre de courses que l’on va disputer. C’est assez déprimant”, souffle l’un des coureurs étrangers de l’équipe. Mais alors, comment sont actuellement composées les sélections pour les courses à venir ? Quels sont les critères prioritaires ? Comment espérer des coureurs qu’ils soient en forme et donc performants alors que, pour la plupart, ils ne courent que très rarement ? “On fait simplement avec la forme de chacun, en essayant toujours d’aligner la meilleure équipe possible à l’instant-T. Je pense que c’est ce qui a le plus de sens”, répond Benjamin Giraud, directeur sportif de l’équipe en Mayenne. “La situation est délicate mais on fait au mieux, il faut chercher le meilleur équilibre possible”.

COURIR PEU NE DOIT PAS EMPÊCHER D’ÊTRE PERFORMANT

Mais n’y a-t-il pas des coureurs prioritaires vis-à-vis de certains de leurs autres coéquipiers, notamment en fonction des relations plus ou moins bonnes avec le manager général Philippe Lannes, ou de la durée du contrat liant les athlètes à l’équipe, comme l’affirment certains en coulisses ? “On reste sur des critères sportifs en essayant de tourner”, répond le DS. Et si certains, comme Eduard Prades ou Julien Trarieux, vont beaucoup enchaîner dans les semaines à venir, c’est en raison des derniers mois difficiles qu’ils ont vécus. “On veut permettre à ceux qui sont restés sur la touche à cause de blessures de pouvoir enchaîner, ça nous semble normal”, ajoute Benjamin Giraud, qui explique rester exigeant avec ses coureurs malgré la situation actuelle. En se justifiant comme suit : “Je sais de quoi ils sont capables. On place la barre haut malgré ce contexte difficile, car on n’empêche pas les gars de bien travailler à l’entraînement. Ils doivent être en mesure de performer même si nous n’avons qu’un front chaque week-end. On voit bien, sur le Giro, que (Remco) Evenepoel est performant alors qu’il n’avait pas couru depuis de très longs mois. D’accord, je prends le très haut du panier, mais ça reste un exemple qui prouve qu’il est possible de bien travailler à la maison. C’est ce qu’on demande à nos coureurs”. Des propos appuyés par son patron, Philippe Lannes, qui veut voir ses coureurs continuer d'exercer le métier pour lequel ils sont rémunérés. "Pour moi, ils n’ont pas de problèmes. Ont-ils du matériel pour courir ? Oui. Ont-ils leur salaire ? Oui. Peuvent-ils courir ? Oui. Ils sont tous sous contrat jusqu’à la fin de l’année minimum. Je ne peux pas leur raconter d'histoires (...) Mais on a un calendrier correct", expliquait-il au début du mois, alors que son groupe ne devrait plus que très rarement être aligné sur deux fronts jusqu'à la fin de l'année. 

Dans ces conditions, chacun va tenter de rester le plus compétitif possible dans les semaines à venir, bien que le cœur n’y soit pas toujours à 100%. “Mais on est des professionnels et il faut faire le métier à fond”. En Mayenne, les espoirs du collectif provençal reposeront notamment sur la pointe de vitesse de Pierre Barbier, “qui a passé un cap cette année et qui est largement capable d’en gagner une”, promet Benjamin Giraud, ancien coureur de la maison. D’autres coureurs, qui verront les Boucles de la Mayenne devant leur poste de télévision, songent déjà à partir, ou s’interrogent sur la possibilité de voir encore des maillots Delko dans le peloton en 2022. “Je crois que Philippe (Lannes) voudra repartir l'an prochain quoi qu’il arrive. C’est aussi une question de fierté. Et de toute façon, c’est un passionné ! Il a envie d’avoir son équipe dans le peloton et même s’il faut descendre en Conti, avec dix coureurs, je crois qu’il considérera que ce sera mieux que rien”, assure un coureur.

Un discours qui contraste avec d’autres, plus défaitistes.
“Quand on voit l’état de l’équipe et l’état des finances… Le pôle performance a disparu, on invite des coureurs à partir pour alléger la masse salariale… Quel serait l’intérêt de continuer en 2022 ? Je ne vois pas trop”. Un autre membre du Team Delko imagine qu'avec "tout ce qui se dit sur l'équipe, aucun autre partenaire ne voudra s'engager à l'avenir". Ce à quoi le manager général a tenu à répondre clairement : "ils peuvent me poser la question et je vais leur dire qu’elle (l'équipe) existera toujours (en 2022)". C’est dans ce contexte bien particulier que les dossards 201 à 206 vont prendre part à l’épreuve mayennaise, ce jeudi (voir les partants). Sur un fil, à la recherche d’un équilibre fragile et avec (parfois) la peur de tomber dans le vide.

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