La Grande Interview : Frédéric Guillemot

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

A 26 ans, Frédéric Guillemot n’est pas à ranger dans la case des anciens du peloton, loin de là. Pourtant, le Morbihannais a de la bouteille et tient déjà un discours posé et réfléchi. “Des coureurs qui font dix-quinze ans de carrière chez les pros, c’est très rare. Alors il faut d’abord se faire plaisir. Mais surtout, il faut réaliser que la vie est longue et que le vélo, ce n’est dans tous les cas qu’une partie de cette vie”. Sociétaire de la formation Côtes d’Armor-Marie Morin-Véranda Rideau, il n’a pour sa part jamais rejoint les rangs professionnels. “Pas assez sérieux” à ses débuts, et un peu trop juste physiquement, comme il le concède lui-même. Bien qu’il se plaise toujours dans les pelotons, le Breton admet envisager très franchement ralentir le rythme dès la saison 2019, année durant laquelle il devrait reprendre le chemin de l’entreprise dans le secteur des travaux publics, dans la boîte familiale. En attendant, Frédéric Guillemot rêve encore d’exploits sur deux roues et notamment sur ses terres, très prochainement sur le Tour de Bretagne.

DirectVelo : Le Tour de Bretagne approche à grands pas !
Frédéric Guillemot : Ca reste la plus belle course de la saison pour nous. Forcément, on a envie d’être là en forme mais cette année, je ne me suis pas trop focalisé sur cette course, ou disons moins qu’avant. C’est toujours compliqué de décrocher un résultat sur le Tour de Bretagne et j’ai le sentiment que cette fois, ce sera encore plus dur avec un plateau un cran au-dessus. On ne sait jamais, mais ce ne sera pas évidemment de se faire une place. Enfin bon, sur un malentendu…

Que serait un malentendu ?
(Sourires). Bien anticiper un sprint en prenant un coup d’avance. Mais il y aura de sacrés coureurs au départ et avant de gagner une étape… Je vais tenter des choses en tout cas, car si on doit réussir un truc, ça passera par là. Fabien Schmidt l’a déjà fait par le passé, à Dinan (victoire en solitaire le dernier jour, NDLR). Il peut le refaire, on a des coureurs capables de briller mais il faudra vraiment être dans une bonne journée. On va tenter d’exister, on ne sera pas là simplement pour suivre. Il faudra provoquer des situations.

« ASSEZ ENNUYANT, ET FRUSTRANT »

Quels souvenirs gardes-tu de cette épreuve ?
Le maillot de leader de Maxime Cam, l’an dernier. C’était quelque chose de grand. Cela dit, le Tour de Bretagne, ce ne sont pas que de bons moments. On n’y prend pas que du plaisir. Déjà parce qu’il n’y fait pas souvent très beau. Je me rappelle d’une étape à Dinan, celle qu’avait gagné Fabien Schmidt justement : il y avait une pluie pas possible, c’était vraiment terrible ! Et dans ces conditions-là, tu es franchement tenté d’arrêter.

Mais les cyclistes bretons sont, en général, connus pour avoir l’habitude d’évoluer dans des conditions climatiques difficiles...
On nous présente quelquefois comme un peu plus guerriers encore que les autres car on a l’habitude de ces conditions… C’est sûr qu’un coureur breton va généralement mieux supporter la pluie qu’un Espagnol mais bon, ça reste un détail et surtout, il n’y a pas de règles.  

Le Tour de Bretagne se rapproche, par certains aspects, d’une course professionnelle…
Ca impressionne un peu, forcément, car il y a un plateau avec des coureurs qui ne rigolent pas. Surtout, la physionomie de la course est différente de ce que j’ai l’habitude de voir le reste de l’année sur la plupart des courses, même si on a eu un autre exemple récemment sur le Tour du Loir-et-Cher, parmi d’autres. Ce ne sont pas les courses les plus intéressantes de l’année pour moi, d’un point de vue purement sportif. C’est même assez ennuyant, et frustrant. Même si tu as de bonnes jambes, c’est difficile et tu ne peux pas faire grand-chose si une équipe contrôle pour un sprinteur, comme Mareczko l’an passé avec la Wilier sur le Tour de Bretagne. C’est le vélo d’aujourd’hui et il faut l’accepter.     

Courir en Bretagne, c’est différent du reste ?
Forcément un peu. Il y a de très beaux parcours dans la région, et des Classiques mythiques. On sent toujours une petite différence lorsque l’on court dans notre région ou ailleurs. Il faut avouer que l’ambiance est toute autre parfois. Si l’on compare avec certaines autres régions françaises ou tu ne croises personne aux arrivées même pour une manche de Coupe de France DN1, ça change ! Et ça fait un peu bizarre quand tu vas dans ces régions-là…     

« J’AI VITE COMPRIS QUE JE NE FERAIS PAS CARRIÈRE »

Cette “ambiance” bretonne si particulière est une fierté ?
On sent qu’il y a quelque chose en plus, donc oui. Il y a une ferveur que l’on ne retrouve pas ailleurs en France. Sur les courses bretonnes, tu peux passer dans n’importe quel petite village, tu auras toujours du monde sur le bord des routes. Parfois, tu as les frissons grâce au public, c’est aussi la grandeur de notre région de vélo.  

En 2014, tu avais remporté le Championnat de Bretagne sur route. Que représente ce titre pour toi, quatre ans plus tard ?
Ca reste la plus belle course que j’ai gagnée dans ma carrière. Aujourd’hui encore, il arrive que l’on me reparle de cette victoire. C’est un souvenir qui marque, on fait du vélo pour vivre ce genre de moments. En Bretagne, le Championnat régional a sans doute plus de valeur que dans d’autres régions. Enfin, disons qu’ailleurs, il y a des coureurs qui ne cherchent pas à préparer spécifiquement ce rendez-vous alors qu’en Bretagne, c’est un événement majeur du calendrier. Tout le monde a envie de gagner cette course et il y a beaucoup de candidats.

Après quoi cours-tu aujourd’hui ?
Je veux avant tout me faire plaisir. C’est sûrement ma dernière année vraiment à fond dans le vélo, du moins à ce niveau-là. Je vais essayer de gagner encore de belles courses. Je suis très bien dans l’équipe, avec une bande de copains et forcément, ça aide en terme de motivation. Contrairement aux autres années où je visais le début de saison, je me suis focalisé sur la période estivale cette fois-ci, pour changer. On verra ce que ça donne. Ce qui est sûr, c’est que plus généralement, je ne cours pas après un passage chez les pros.



C’était quand même un rêve pour toi ?
Il y a quelques années, oui, lorsque j’étais en Espoirs 1 ou 2. Mais j’ai vite compris que je ne ferais pas carrière. Il faut être conscient de son niveau. Dans le monde du vélo, le plus important, c’est de ne pas s’inventer une vie. Moi, je n’ai jamais eu la prétention de m’imaginer faire carrière. J’ai vite vu mes limites. Et puis au-delà de ça, certains coureurs que je connais sont passés pros mais ça ne s’est pas toujours très bien passé et ils n’en ont pas gardé de grands souvenirs. De l’extérieur, ça a l’air sympa mais à y regarder de plus près, ce n’est pas toujours si agréable, à moins de devenir un grand coureur. Bon, il faut avouer que rien que pour l’aspect financier, c’est quand même intéressant de passer pro (rires).

« SOIT TU AS UNE SITUATION CONVENABLE, SOIT IL FAUT PASSER À AUTRE-CHOSE »

Parfois, on a le sentiment que certains coureurs amateurs ont une situation quasi identique à celles des professionnels qui évoluent en Continental…
J’ai déjà entendu ce discours en effet et je le comprends. C’est vrai que sur certains aspects, c’est presque mieux. Parfois, certains coureurs préfèrent même rester amateurs plutôt que de passer pros à tout prix. Curieusement, suivant les conditions, ça peut être plus usant d’être pro, au niveau des déplacements par exemple. En Continental, tu traverses la France dans tous les sens pour aller courir alors que nous, on peut se permettre de rester courir sur une zone plus restreinte. Bon cela dit, ça reste aussi parfois de la débrouillardise d’être amateur. Financièrement, ce n’est pas simple. Tu peux toucher un peu par ci par là mais ce n’est pas la folie !

Ce n’est donc pas envisageable à long terme ?
Pas vraiment et c’est aussi la raison pour laquelle je vais arrêter bientôt. C’est pesant à la longue d’être dans cette situation. Je suppose que c’est la même chose dans tous les sports. Soit tu as une situation convenable, soit il faut passer à autre-chose à un moment donné.

Est-il malgré tout plus facile d’être amateur en Bretagne qu’ailleurs en France ?
On n’est pas les plus à plaindre. On a plusieurs grosses structure de DN, on a un calendrier très riche qui permet de courir souvent et pas loin de la maison… D’un point de vue géographique, du coup, on n’a pas besoin de faire autant de déplacements que d’autres, toutes les semaines. En cumulant la Bretagne et les Pays de la Loire, on pourrait ne courir que dans la “région” si on le voulait.

Entre le VS Scaër, le BIC 2000, la Sojasun et maintenant Côtes d’Armor-Marie Morin-Véranda Rideau, tu as enchaîné les expériences bretonnes durant ta carrière : as-tu envisagé un jour de tenter une autre aventure ?
Ca aurait pu mais je n’ai jamais vraiment cherché à le faire. C’est peut-être un tort d’ailleurs car cela aurait sans doute été intéressant… Cela dit, je ne le regrette pas. Je suis bien en Bretagne. En plus, il ne faut pas voir que le côté sportif car cette décision aurait impliqué que je m’éloigne de ma famille et de mes amis… Ce n’est pas évident.

« LA VIE EST LONGUE »

Après avoir passé près d’une décennie dans le peloton à haut-niveau, tu arrives encore à découvrir des choses et à prendre autant de plaisir ?
Ce n’est pas toujours évident et avec le temps, ça se rapproche de plus en plus d’un travail. D’un autre côté, je ressens moins de pression que par le passé et du coup, je cours plus décontracté et donc en prenant du plaisir. La vraie différence, par rapport à mes débuts, c’est que j’ai appris à relativiser beaucoup de choses.

Tu n’as pas le moindre regret, lorsque tu regardes en arrière ?
Pas vraiment. Je repense quand même à mes premières années en Elites, où je n’étais pas très sérieux. Du coup, je suis vite devenu vieux et c’était déjà trop tard pour espérer faire carrière même si arrivé chez Sojasun (en 2013), j’avais tenté de mettre toutes les chances de mon côté en faisant le choix de ne faire que du vélo.  

Que conseilles-tu aux jeunes qui débarquent en Elites ?
J’étais à leur place il y a quelques années alors je sais ce qu’il en est. J’essaie tout bêtement de leur faire part des erreurs que j’ai pu faire afin qu’ils ne reproduisent pas les mêmes. Ils doivent comprendre qu’il faut travailler très dur pour y arriver et en même temps, il faut faire réaliser aux jeunes qu’il n’y aura pas de places pour tout le monde chez les pros, loin de là. Ce n’est pas facile à dire car le but n’est pas de casser leurs rêves non plus. De toute façon, ils se rendront aussi compte de tout ça par eux-mêmes un peu plus tard dans leur carrière… Des coureurs qui font dix-quinze ans de carrière chez les pros, c’est très rare. Alors il faut d’abord se faire plaisir. Mais surtout, il faut réaliser que la vie est longue et que le vélo, ce n’est dans tous les cas qu’une partie de cette vie.

De quoi sera faite ta vie, après le vélo ?
Par chance, je ne suis pas encore si vieux que ça et pas prêt pour la maison de retraite. Mon père tient une entreprise de travaux publics. J’y ai déjà travaillé quand j’étais plus jeune et l’idée est que je m’y remette à partir de l’année prochaine. Financièrement, ce sera quand même plus confortable que ma vie de coureur cycliste. C’est important de penser à la suite, aussi pour ma copine avec qui je vis aujourd’hui. Je veux me poser, avoir une vie un peu plus “rangée”. On ne peut pas construire de projets solides à long terme en étant coureur de DN1.

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