La Grande Interview : Yann Guyot

Un bon petit soldat, Yann Guyot ? Le coureur membre de l'Armée de Terre a l'habitude des jeux de mots autour de son équipe au maillot camouflage. Sauf que dans ce cas précis, il n'a rien du militaire soumis : il reconnaît son "caractère dur", celui qui lui vaut quelques inimitiés et beaucoup de victoires. A son palmarès figurent ainsi la Roue Tourangelle et Manche-Atlantique. Mais sa plus belle victoire, il l'a entrevue début mai sur le Tour de Bretagne, dans sa région. Pour filer la métaphore, il est tombé les armes à la main, sur la dernière étape, entre le Hinglé et Dinan. Ce jour-là, avec ses camarades de régiment il s'apprêtait à défendre son maillot de leader comme il le faisait depuis une semaine. La pluie était battante, les paysages grisâtres et les ambitions de victoire elles aussi plombées quand sont partis en échappée ses poursuivants au classement général. Yann Guyot ne s'est pas avoué vaincu mais, pris au piège, il a perdu la première place au profit de Bert-Jan Lindeman (Rabobank Development). Dans sa tête, sûr qu'ont défilé ses dix saisons amateurs depuis les rangs Espoirs, d'abord au Véloce Vannetais, chez Côtes d'Armor Cyclisme puis Sojasun espoir-ACNC et enfin à l'Armée de Terre - "MON équipe" insiste-t-il. Combatif à souhait, Yann Guyot se livre à www.directvelo.com.

DirectVélo : Il y un mois, tu as porté de bout en bout le maillot de leader sur le Tour de Bretagne, avant de le céder le dernier jour. Est-il simple de tourner la page ?
Yann Guyot : Il ne faut pas rester sur des échecs. C'était la même chose l'an dernier quand j'ai terminé troisième du Championnat de France Amateurs. J'ai retenu une phrase de Sylvain Chavanel. Il s'était classé deuxième du Championnat de France et il avait dit à l'arrivée qu'il aurait oublié le lendemain. Après le Tour de Bretagne, j'ai coupé trois jours, pour ne plus y penser. En remontant sur le vélo, j'étais principalement tourné vers l'avenir.

Tu gardes donc un bon souvenir de l'épreuve ?
Oui, il s'agit d'une bonne expérience. Nous avons eu un maillot à défendre de la première à la dernière étape sur une course de classe 2. Je n'ai pas de regret. J'ai été beaucoup attaqué sur la dernière étape. En fait, j'ai surtout été victime d'un concours de circonstances. J'ai perdu des équipiers après trente-cinq kilomètres de course et pourtant je ne me suis pas découragé. J'ai réussi à boucher une minute... Mais ça n'a pas suffi.

Il se dit que certaines équipes professionnelles ne voulaient pas voir un amateur gagner.
Je pense que c'est vrai. Je dirais plutôt que certaines équipes ne voulaient pas voir un amateur breton remporter le Tour de Bretagne... Elles n'avaient pas obtenu de victoire et elles se sont fait redresser les oreilles. C'est le vélo !

« JE NE ME DECOURAGE PAS COMME CA »

Tu fais partie des coureurs amateurs qui auraient peut-être pu passer professionnels. Comment expliques-tu n'avoir jamais eu ta chance ?
Je ne sais pas trop. On dit que j'ai un caractère assez dur mais il y a pire que moi ! J'ai rejoint Sojasun espoir-ACNC et ce n'était peut-être pas la bonne voie. Je courais dans la réserve d'une équipe professionnelle et de cette manière je me suis fermé des portes.

Tu n'as même jamais été stagiaire professionnel.
En 2010, j'ai réalisé une de mes meilleures saisons. J'aurais dû être stagiaire. Nous avons été réunis à Chantonnay, la veille du Championnat de France, en présence du manager Stéphane Heulot. Les noms des trois stagiaires ont été donnés, j'en faisais partie. Puis j'ai reçu un coup de téléphone quinze jours plus tard pour me dire que finalement je n'étais pas retenu. Ça a été difficile pour moi. J'étais à fond dans ce projet, c'était clairement mon but. Je n'ai pas eu d'explication... Dans la même période, j'ai appris que je souffrais de l'artère iliaque. Malgré ces deux coups durs en juillet, j'ai quand obtenu des résultats dans la seconde partie de saison. Je ne me décourage pas comme ça !

Avoir un caractère « assez dur », qu'est-ce que cela signifie ?
Je ne prends pas de gants pour dire les choses, je dis toujours ce que je pense même si ça ne fait plaisir à entendre parfois. Mais c'est aussi grâce à mon caractère que j'obtiens des résultats. Aujourd'hui, il n'y a pas beaucoup de coureurs qui ont plus de 25 ans chez les amateurs. Il faut avoir la flamme pour s'entraîner, sacrifier des choses... De toute façon, sans victoire, j'aurais arrêté le vélo...

Tu as toujours été un gagneur ?
Oui, j'ai toujours voulu être le premier. A l'école, dans les différents sports pratiqués, je voulais être le meilleur. C'était moins le cas en cours. (sourires) J'ai commencé le vélo à la fin de la seconde année Cadet. J'ai finalement vite eu des résultats. J'ai été Champion du Morbihan lors de ma première année Junior.

Tu as longtemps eu la réputation d'être individualiste... Etait-ce le cas ?
Je l'ai été. Mais je ne pense pas être le seul dans le vélo. Au départ, le directeur sportif te demande de gagner la course. Dans le peloton amateur, personne n'est vraiment salarié. Il faut tirer son épingle du jeu. Quand tu as les jambes pour t'imposer, ce n'est pas simple de laisser gagner quelqu'un d'autre. Mais quand il a fallu rouler pour un coéquipier, je l'ai toujours fait. Je repense à des courses comme l'Essor Breton ou le Kreiz Breizh Elites où j'ai aidé à défendre un maillot de leader. Je faisais le taf ! En tout cas, j'ai changé d'état d'esprit en intégrant fin 2010 l'Armée de Terre.

« J'AIME CE GOUT DE L'EFFORT »

Comment t'es-tu embrigadé dans l'équipe de l'Armée ?
En août, sur l'Agglo Tour, j'ai eu une discussion avec Julien Gonnet, qui était déjà dans la structure avant qu'elle accède en Division Nationale. J'étais séduit par ce double projet, militaire-cycliste, qui me permettait d'assurer mes arrières. J'en ai parlé avec mes proches puis je me suis lancé. J'avais aussi une proposition de Véranda Rideau, qui voulait monter son équipe professionnelle en 2012. Ce plan s'est concrétisé mais sans moi. J'en avais marre de la précarité. En m'engageant à l'Armée de Terre, j'ai fait le bon choix.

Depuis, tu te considères comme cycliste ou militaire ?
Je suis militaire avant d'être cycliste. En 2012, je suis passé aide moniteur de sport. L'objectif de devenir coureur professionnel est sorti de ma tête. Je suis fait pour être militaire. J'aime ce goût de l'effort. Après la saison 2013, nous avons passé deux mois en formation, sans rentrer à la maison. Nous dormions en extérieur, nous portions des sacs très lourds... J'ai pris ça comme un jeu. J'ai repoussé mes limites.

Enfant, tu voulais être militaire ?
Je voulais être sportif professionnel, peu importe la discipline. J'y suis presque arrivé. A quinze ans, j'envisageais de passer le brevet pour être pilote d'avion. J'ai une trentaine d'heures de vol derrière moi mais j'avais abandonné l'idée avec le vélo qui demandait du temps. J'ai aussi voulu être pompier à un moment. En tout cas, j'ai toujours aimé le treilli et les tenues de camouflage.

« UNE LETTRE DU MINISTRE APRES LE TOUR DE BRETAGNE »

Beaucoup de coureurs envient votre situation matérielle. Ils ont raison ?
Nous sommes détachés pour faire du vélo. Mais nous enchaînons la saison de vélo et les formations. A contrario, il y a des coureurs amateurs qui ne font que du vélo... En trois ans, j'ai dû prendre une semaine de vacances avec ma copine. Nous avons des obligations et tout le monde ne les accepterait pas. Par exemple, nous nous retrouvons parfois le lundi matin pour nettoyer les véhicules. Et quand tu dois tirer au FAMAS, il faut assurer.  C'est un état d'esprit à avoir et avec Benoît Sinner, nous essayons de le transmettre aux nouveaux coureurs. Même si parfois on est content de couper, notre force est de nous voir très souvent, de nous côtoyer la semaine. L'Armée de Terre, c'est MON équipe ! (sourire) Je pense même que c'est une bonne chose que le vélo amateur ait une équipe comme la nôtre. Il y a eu la domination du VC La Pomme Marseille, du Vendée U... Nous, nous apportons une homogénéité, ça donne des courses sympas. Nous l'avons encore vu samedi dernier sur le contre-la-montre par équipes de la Coupe de France.

En revanche, il y a eu certaines courses moins intéressantes en raison de votre domination...
Nous avons un groupe homogène, c'est dans notre état d'esprit de chercher le surnombre. Nous prenons le départ d'une course pour la gagner. Je pense que ça donne aussi du spectacle. Nous marquons certaines épreuves de notre emprunte. Il arrive également à d'autres équipes de réaliser des quadruplés ou plus. Sans parler du Vendée U et du VC La Pomme Marseille à l'époque, le CC Nogent l'avait fait par exemple sur les Courses au Soleil.

En tant que Morbihannais, tu es le chouchou du Ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian ?
Mais oui, je mange souvent chez lui ! (rires) Non plus sérieusement, nous sommes du même département, il le sait. Je l'ai rencontré pour la première fois en 2011 au Critérium de Lorient. Il n'était pas encore ministre. Mais je l'ai vu plusieurs fois depuis. L'équipe Bretagne-Séché Environnement lui tient à cœur, mais la nôtre également. Il suit nos performances. L'an dernier, il nous avait envoyé une lettre de félicitations. Il écrivait être fier de nous, que nous représentions bien l'Armée. Et je sais qu'il m'a écrit après le Tour de Bretagne mais je n'ai pas encore vu le courrier.

Tu te vois continuer longtemps dans le vélo ?
Je souhaite intégrer l'école de sous-officiers de Saint-Maixent-l'Ecole. La session débuterait en mai 2015, pour une durée de trois mois. Puis il y a une formation de sept mois. Si je suis pris, je ne serai plus cycliste de mai 2015 à mars 2016. Je ne sais pas s'il est possible d'avoir une dérogation. Si je suis à l'école, je ne sais pas si j'aurais la tête à reprendre le vélo. J'ai aussi d'autre projets.

Des exemples ?
J'aimerais me lancer dans le duathlon, le triathlon ou l'iron man. Celui de Nice me fait rêver ! Je fais beaucoup de cross l'hiver, j'aime courir et je nage plutôt bien. Bref, j'ai d'autres défis !

Crédit Photo : Freddy Guérin - www.directvelo.com
 

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de Yann GUYOT